Dédicace aux quatre-vingt-mille (80.000) personnes tuées au Rwanda entre le 7 et le 16 avril 1994, aux sept-cent-vingt-mille (720.000) personnes qui allaient être tuées durant les 90 jours suivants, et à toutes les personnes qui ont survécu le génocide des tutsis.
Parfois mes larmes s’écoulent jusque dans mon assiette,
Parfois mes larmes coulent dans ma tasse,
Souvent mes larmes coulent dans ma bouche,
Elles coulent, coulent jusque dans mon ventre…
Je porte ma sœur A dans ma cuisse; c’est une prothèse
Je porte ma sœur C dans ma bouche; ce sont des prothèses
Je porte ma sœur P dans ma tête : ils ont tout raclé, il n’y a plus rien, je n’ai plus de mémoire.
Je porte mes trois sœurs, et c’est trop lourd pour moi !
Souvent je regarde les photos des miens, pour ne pas oublier
Et quand je ressens le besoin, je vais sur internet, et je regarde
Puis j’oublie, je ne me rappelle plus de rien
C’est ainsi, j’ai perdu ma mémoire
Mais je sais qu’il ne faut pas se laisser abattre, pour mes enfants …
Heureusement qu’il y a une glace
Je me regarde et je trouve que j’ai un visage d’un être humain
Et chaque fois que j’y reviens, j’appréhende ce que je vais trouver
Des fois c’est comme si le ciel m’était tombé sur la tête
D’autres fois, c’est comme si ma tête avait traversé le ciel
Ma tête vit comme dans un moule,
Alors je ne sais jamais ce que je vais trouver dans la glace
Peut-être quelque chose a changé en moi !
Mais comme je vois un être humain dans la glace,
Je me dis que je suis encore vivante ! Donc je suis encore en vie !
Anonyme – Rwandaise – Survivante
Propos recueillis ce 16 avril 2019, par Marie, présidente de l’association UBUNTU